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Vernis

 

Vernis Philippe Girardin à gauche et l'original fait par Antonio Stradivari à droite mon vernis cremonais 1

 

 

Mon vernis cremonais detail
Détail de la même image
 

Le vernis italien a toujours fasciné les luthiers et les musiciens. Il fait encore rêver et constitue un sujet permanent de débat entre ceux que la question interpelle et ceux qui l’ont résolue.

Plusieurs années de recherche, de pratique et d’expériences conduisent au constat suivant: qu’ils soient jaunes dorés, rouges ou bruns foncés, épais ou fins, les vernis des grands luthiers du 16, 17 et 18ème sont pratiquement tous d'une grande beauté.  Pourquoi?

 
Sans doute parce que le secret du vernis n’est pas dans la recette unique, perdue ou secrète d’un vernis spécifique, mais bien plutôt dans l’art oublié d’un processus d’application du vernis, dans un savoir faire plus que dans un savoir. Le vernissage d’un instrument ressemble à l’art culinaire. Ce n’est pas tant la recette qui conduit à la réussite du plat que la manière dont le cuisinier va la mettre en oeuvre au moyen de tours de mains qui ne se transmettent qu’oralement, de maître à disciple.

 

 

Découverte en 2009 du "secret de Stradivarius"

Une équipe franco-allemande de 12 experts (chimistes, luthiers, restaurateurs...) ont examiné attentivement cinq violons d’Antonio Stradivari, conservés au Musée de la musique (Cité de la musique) à Paris. Ils ont publié leur étude dans la prestigieuse revue de chimie allemande Angewandte Chemie International Edition.

http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/anie.200905131/abstract

 

Recette

En résumé le vernis d’Antonio Stradivari se compose de deux fines couches. La première est à base d'huile, suivie d'une seconde, un mélange d'huile et de résine de pin auquel il incorporait différents pigments utilisés en peinture, pour varier la couleur. C’est tout !

Quand on pense que tant de livres et tant d’articles de journaux considéraient son vernis, ou du moins le supputaient, comme responsable de la supériorité de Stradivarius sur ses autres collègues ???

Voici quelques liens  qui relatent cet événement.

 

Journal Liberation/2009/12/04/Soleil synchrotron perce le secret du stradivarius

 

Journal LeMonde/2009/12/04/le secret des stradivarius dévoilé

 

Radio romande/rts.ch/lutherie:le mystère stradivarius résiste

 

Nuancier 

 

 

Que disent les anciens?

Dans de vieux traités de vernis datant de 1550, de 1564 et de 1713 j’ai sélectionné sept recettes que je vous livre ici dans leur langue originale. J’ai pensé intéressant de les illustrer avec quatre vernis différents réalisé dans notre atelier.

 

 

Alexis le Piémontais

(Secret des Arts, 1550)

 

Recette n° 1 (vernis à l’alcool)

Prend benjoin et le broie, puis mets en fiole et y verse dessus eau-de-vie très bonne tant qu’elle passe le benjoin de deux ou trois doigt et le laisse ainsi deux ou trois jours, puis y ajoute pour demi fiole d’eau-de-vie cinq ou six fils de safran légèrement estampés ou tout entiers. Ce fait, tu le couleras et d’un pinceau en verniras telle chose dorée que tu voudras, laquelle deviendra reluisante en séchant et durant plusieurs années.

 

Exemple de vernis doré mis sur le «Kardos» violon fait en 2003

 

Recette n° 2 (vernis sans diluant)

Autre qui séchera incontinent. Prends encens mâle et vernis à écrire, à savoir la sandaraque qui est gomme de genièvre, autan que tu veux ; réduis-les en poudre la plus déliée que tu puisses et les incorpore ensemble. Prend puis térébenthine de Venise et la mets en un vaisseau non gras et la défais, puis mets dedans lesdites poudres petit à petit, les incorporant bien sans le faire trop tendre, mais bien à point et, ainsi chaude, la couleras par l’étamine ; et quand tu en voudras user chauffe-la et étends fort déliée, et te fera ton ouvrage fort luisant et se séchera incontinent et bien.

 

Recette n° 3 (vernis à l’huile)

Huile de lin, 3 livres, que tu feras bouillir ; et, pour savoir si elle l’est assez, boutes-y dedans une plume de géline, et se elle brûle incontinent, elle sera cuite. Puis prends

Sandaraque…………....………..8 once.
Aloès hépatique……......………4 once.

Pulvérise-les préalablement, puis la mets dans l’huile bouillante et remue jusqu’à liquéfaction; passe par l’étamine, et tu perdras la moitié inutile étant trop épaisse qui ne pourra pas servir.

Pour l’employer faire chauffer au soleil.

 

Exemple de vernis à l’huile mis sur le «Saiz» violoncelle fait en 2003

 

 

Fioravanti.

(Miroir universel des Arts et des Sciences, 1564)

 

Recette n° 4 (vernis à l’alcool)

Benjoin, sandaraque et mastic ; pulvérisez-les bien, mettez dessus de l’eau-de-vie. Faites digérer le mélange à feu doux ou au soleil ; les gommes se dissoudront facilement et formeront un vernis très brillant et qui séchera promptement.

 

Exemple de vernis brillant mis sur le violon fait en 2002 (collection privée)

 

 

Le R. P. Bonanni

(Traité des vernis, 1713)

 

Recette n° 5 (vernis à l’huile)

Un prêtre maronite, Donato Aldoense, a envoyé la recette suivante au P. Bonanni :

Huile de lin…………………………..1 once.
Mastic de Perse……......…………1 once 1/2.

Que l’on fait fondre ; après quoi on y met l’huile, jusqu’à ce qu’il se forme une écume blanche. Lorsqu’on veut s’en servir pour colorer des objets, on le mêle avec des couleurs pulvérisées.

Ce vernis devient très dur.

 

 

Recette n° 6 (vernis à l’huile)

M. Garnier, médecin de la reine de Pologne, a communiqué à l’abbé Bonanni la formule suivante d’un vernis pliant et souple sous le coup d’un marteau.

On fait bouillir la térébenthine de Venise, et on ajoute autant pesant de copal pulvérisé. On fait bouillir le tout un quart d’heure, remuant bien avec un bâton, puis on y met de l’huile cuite ; on fait incorporer ensemble sur le feu, puis on rend le vernis aussi liquide qu’on le veut avec de l’essence d’aspic ou de térébenthine; il faut l’employer un peu chaud.

 

Vernis souple; Raspo

Exemple de vernis souple mis sur le «Raspo» violon fait en 2003

 

Recette n° 7 (vernis d’imprégnation).

Enfin le P. Bonanni dit qu’avant d’employer le vernis sur du bois, il faut le couvrir de vernis suivant pour l’encoller :

Huile d’aspic……………………..…..8 onces.
Sandaraque en poudre……………5 onces.

Le tout étant bien incorporé sur le feu, on en enduit tout chaud la pièce que l’on veut vernir, et lorsqu’elle est sèche, on y met le vernis.

 

Exemple de vernis d’imprégnation mis sur le violon baroque fait en 2004 (collection privée)

 

 

Simplicité

Pour anodines qu'elles paraissent, ces recettes semblent animées d'une vie intérieure qui les fait dialoguer entre elles. Toutes très simples, comme le confirme la découverte en 2009 du vernis de A. Stradivari, elles donnent à l’objet verni une beauté incomparable. Le vernisseur est le lien entre cette simplicité et son efficacité. Grâce à ses multiples talents d'interprète, tant du bois avec ses humeurs que du vernis et ses réactions spécifiques, il joue le rôle de chef d'orchestre. Le bois indique la voie à suivre s'il est compris et le vernisseur choisit la recette adéquate en fonction de son expérience des vernis. Ces connaissances tant du bois que des vernis sont fondamentales. Tout cela avec la sonorité comme but.

 

Conclusion

Que l'on fasse un vernis à l’alcool ou un vernis à l’huile, qu’on le veuille brillant ou satiné, qu’il soit dur ou mou l’important est de trouver l'harmonie totale entre ce vernis et le bois. La sonorité comme un phare ou une boussole nous guide tout au long et reste le but final. Alors la beauté intrinsèque se révélera d'elle-même.

 

Considérations personnelles sur

la couleur des Vernis et sous-fonds de Stradivarius.

 

 

Les vernis.

Les sept violoncelles d’Antonio Stradivari, exposés à Crémone en 2004 ont montré, au-delà d’un grand intérêt visuel et culturel, une grande variété de couleurs des vernis. Chaque instrument avait une couleur différente. Le livre de l’exposition le démontre clairement, même si les couleurs reproduites par les photos ne sont pas tout à fait exactes.

 

Sous fond Stradivarius 

Extraits du livre de l’exposition j’ai fait ce photomontage qui témoigne de cette grande variété de couleur. Malheureusement il manque le violoncelle Batta un Stradivarius de 1714, qui n’était pas exposé. Il aurait apporté le témoignage d’un vernis d’une épaisseur inhabituellement grande et surtout d’un rouge pourpre impressionnant.

Cette constatation de variété de couleur est particulièrement intéressante, d’autant plus qu' il s’agit du même luthier. On aurait pu imaginer que les vernis soient différents d’un luthier à l’autre mais pas à ce point là chez le même luthier.

 

Sur cette image on voit que les deux demi-fonds situés sur la droite sont de la même année (1732). Ceci est très intéressant. Sauf erreur de datation ou d’attribution, cela nous permet de penser qu’il s’agit d’un choix délibéré de Stradivarius de varier la couleur selon son bon vouloir et non pas de vernis significatifs de différentes périodes de sa vie. On sait cependant qu’il utilisait quand même moins de vernis variés au début de sa carrière que par la suite. A ses débuts son vernis était peu coloré, voire transparent et variait légèrement autour du jaune ambré, exactement comme le violoncelle de 1710 (à gauche de la photo). Dans les années 1690 il a introduit le rouge (voir son violon appelé le « Toscan » de 1690) puis quelques années plus tard, dans sa période appelé étonnamment « d’or » il utilisait toutes les teintes. Elles vont du transparent au brun foncé en passant par toutes les teintes des jaunes, des oranges et des rouges.

 

Les sous-fonds.

A regarder de plus près, on peut relever que non seulement le vernis pouvait être de différentes couleurs, mais aussi le sous-fonds. Entre le sous-fonds des deux violoncelles datés 1732,  l’un est jaune et l’autre brun roux. Stradivarius passait donc aisément du jaune clair (1732) au brun clair (1710) ou du gris-vert (1712) au brun roux (1732) suivant ses envies ou selon le désir de ses clients, voir suivant le bois utilisé qu’il laissait peut-être libre. Avec ses différents sous-fonds et ses différents vernis, on peut dire qu’il maîtrisait une vaste palette de tous les tons possibles.

 

Cette grande variété de couleur, surtout des sous-fonds, est typique du 18ème. Elle s’est considérablement uniformisée au cours du 19e pour toutes se ressembler au 20e. La technique pure, l’uniformité et la symétrie caractérisent le siècle passé. Le 21e marque le retour vers la diversité, vers la variété, vers la philosophie du « jamais deux fois la même chose ». J’appelle volontiers ce changement de cap comme « la renaissance de la lutherie ».

 

Actuellement une profusion de luthiers de très haut niveau proposent une lutherie personnelle haut de gamme et ceci dans pratiquement tous les pays du monde. Les prix de ces instruments ne font que monter depuis une vingtaine d’année. Les musiciens ont parfaitement compris où étaient leurs intérêts. Actuellement ils investissent en masse sur ce type d'instrument de très haute qualité et à des prix encore sans comparaison avec un ancien

 

Exemples de deux sous-fonds

De passage chez un collectionneur, dans le but de voir sa collection (stradivari, guarneri, etc.) et de lui montrer en même temps mes deux derniers violons construit sur les mêmes principes propres au 18 ème siècle, je fus surpris de la similitude de mes deux sous-fonds avec ces prestigieux instruments, que je voyais pour la première fois. Je me suis amusé de les mettre côte à côte et de les photographier dans les mêmes conditions. Bien entendu il ne s’agit pas de copie de ces instruments là.

Sous fond comparaison erable 1 

Sur cette photo on peut voir une grande différence entre les deux violons foncés et les deux clairs. La lumière exagère aussi cette différence.

 

 

Sous fond comparaison erable 2 

Sur celle-ci, j’ai exprès interverti les deux groupes en mettant les deux violons foncés à gauche de la photo et les clairs à droite. Cette fois la lumière atténue la différence et ils semblent tous de la même couleur. Dans la réalité ils sont bien évidemment différents, mais peut-être pas autant que sur la photo supérieur.

 

Actuellement j’adore obtenir sur mes propres instruments toutes sortes de variations de sous-fonds et de vernis. La différence vient essentiellement du bois  qui n’en fait qu’à sa tête, tel une « matière vivante. Je le laisse de plus en plus réagir à sa manière car je suis convaincu que ça fait partie de la vie qui n’est justement ni linéaire ni uniforme. Et ça m’arrange. Soit on accepte les réactions irrégulières du bois, soit on le force tel un bonzaï. Pour moi c’est une question de philosophie. L’ayant personnellement contraint pendant une vingtaine d’année je laisse actuellement beaucoup plus de place à la différence et au particularisme. C’est aussi le balancier de l’histoire, tantôt à droite tantôt à gauche. Comme je le disais plus haut, au 18e on était dans la variété au 20e dans l’uniformité, on retourne imparablement vers la diversité.

 

 

p.s. sur la photo du bas les deux stradivarius sont au centre de l’image et les deux girardin à l'extérieur.

Et sur la photo plus haut, avez-vous deviné où se trouve les Stradivarius?